La masse salariale a reculé au troisième trimestre, pour la première fois depuis deux ans. Cette baisse inattendue affecte les comptes de la Sécurité sociale.
C'est un recul inattendu. Pour la première fois depuis deux ans, la masse salariale des entreprises du secteur privé a reculé au troisième trimestre, selon les chiffres publiés ce jeudi matin par l'Acoss, l'organisme qui recouvre les cotisations pour le compte de la Sécurité sociale. Le recul est léger (-0,1 % par rapport au deuxième trimestre) mais il illustre la brutalité du retournement de l'économie française en milieu d'année.
Il
résulterait de la conjonction de deux phénomènes selon l'Acoss : une
contraction de l'emploi alors qu'il progressait depuis début 2010, et
une diminution du salaire moyen par tête (SMPT). La contribution de
l'emploi à la baisse de la masse salariale reste sujette à discussion.
Si l'organisme fédérateur des URSSAF estime que 10.000 postes ont été
perdus en un trimestre, soit une baisse de 0,1 %, Pôle emploi, qui a
rendu publiques mercredi ses propres estimations en la matière, conclut,
lui, sur un champ un peu différent, à la création de 5.000 postes
salariés, soit une quasi-stabilité. Comme l'Insee. L'Institut de la
statistique a divisé ce jeudi matin par deux son chiffrage des créations
de postes au troisième trimestre à 3.600.
Tendance alarmante pour les comptes sociaux
La baisse, surprise, du SMPT est évaluée à 0,2 % par l'Acoss. « Cette diminution pourrait s'expliquer en partie par un moindre recours aux heures supplémentaires »,
précise-t-elle dans sa note. Le 23 novembre, elle a annoncé qu'au
troisième trimestre, la croissance de leur volume a fléchi nettement,
revenant à une progression de 1,1 % sur un an après 6,3 % sur le
deuxième trimestre et 5,9 % au premier trimestre.
Le
premier semestre avait été très dynamique pour la masse salariale (+2 %
et +0,9 % au cours des deux premiers trimestres). Du coup, en
glissement annuel, la masse salariale ne progresse plus que de 3,3 %.
Cette tendance est alarmante pour les comptes sociaux. Le budget de la
Sécurité sociale pour 2011, qui prévoit un déficit de 18 milliards
d'euros pour le régime général, a été construit sur une prévision de
masse salariale en hausse de 3,7 %. Après le mauvais chiffre du
troisième trimestre, il est désormais presque certain que cette
progression ne pourra pas être atteinte. Le déficit risque donc être
plus important que prévu.
DOCUMENT : La note de l'Acoss
La masse salariale et l'emploi du secteur privé au 3e trimestre 2011 - AcossCreusons le trou de la sécu, c'est bon pour nous !
Le "trou de la
sécu" est devenu presque aussi attaché à l'image que que nous avons de
notre pays que le château de Versailles ou la Tour Eiffel. Il est vécu
comme une espèce de fatalité qui laisse régulièrement place à la volonté
de le combler. Cette politique porte sur la culpabilisation (les
français consomment trop de médicaments) ou la désignation de
responsables (les vieux). Les leviers utilisés sont soit une (légère)
augmentation des recettes soit des déremboursements qui font augmenter
la part des mutuelles privées (la sécu finance environ 77% des dépenses
et ce chiffre s'érode lentement). Et finalement, si augmenter les
dépenses de santé, c'était bon pour nous? Cette idée iconoclaste ne sort
pas uniquement de mon cerveau tordu mais également des travaux de Brigitte Dormont. (sa publication ici)
Le fameux trou a commencé à se creuser
depuis 20 ans et le déficit s'amplifie à l'exception notable du tournant
du millénaire marqué par une forte croissance économique et une baisse
du chômage. L'année 2010 devrait marquer un nouveau record.
Les dépenses les plus importantes
concernent l'hôpital (45% du total), la médecine de ville (plus de 25%)
et les médicaments (20%). On voit donc que ces derniers, qui sont
souvent pris pour cible et comme base de la politique de réduction des
déficits (campagne de com', génériques, ...) ne représentent qu'1/5ème
du total.
La France dépense-t-elle plus que les autres pays pour sa santé ?
Deux constatations s'imposent :
- Nous sommes bien dans le "haut du panier" (11.2% du PIB consacré à la santé), 2 points au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE. Mais nous sommes à un niveau très proche de voisins comme la Suisse, l'Allemagne ou la Suède. Et nous sommes très, très loin des Etats-Unis
- Nous sommes le pays de l'OCDE dont le financement public de la santé est le plus élevé (8.3% du PIB). Ceci résulte de notre choix d'avoir un modèle massivement basé sur la solidarité organisée par l'État
Qu'en est-il de l'évolution? Elle est
massive. Entre 1960 et 2006, la part de la richesse nationale consacrée à
la santé est passée dans l'Hexagone de 3.8% à 11.1%. Dans le même
temps, elle bondissait de 5.1% à 15.3% aux USA. Bref, la France n'est
pas surconsommatrice de santé comme on l'entend souvent, elle s'inscrit
dans une tendance lourde observée dans tous les pays industrialisés.
A qui la faute ?
L'espérance de vie s'est accrue
considérablement, ceci a été dit et redit lors du débat sur les
retraites. Et elle va continuer de s'accroître. Dès lors, il est tentant
(et beaucoup le font) d'imputer à la part grandissante des vieux
l'augmentation des dépenses de santé. Ce n'est pas si simple. Comme on
pouvait s'y attendre, la consommation de santé s'accroît avec l'âge :
Mais il faut se méfier des stats. En effet, des études menées sur les dépenses de Medicare (couverture maladie pour les plus âgés aux Etats-Unis) montrent que 30% des dépenses sont absorbés par les 5% de patients qui décèdent dans l'année. Les dépenses de santé augmentent donc avec l'âge mais surtout avec la proximité de la mort (qui intervient souvent, fort heureusement, à un âge élevé) :
Ainsi, le vieillissement de la
population n'explique pas les hausses de dépenses de santé plus
l'espérance de vie augmente, plus la mort est repoussées ainsi que les
dépenses afférentes. Le fait que les dépenses de santé pour un individu
augmente à l'approche de la mort n'est évidemment pas un plaidoyer en
faveur de l'euthanasie. Si l'argument moral n'était pas suffisant, des
études ont montré que le pronostic des médecins quant aux chances de
survie des patients âgés entrés à l'hôpital est relativement peu fiable
...
Alors d'où vient l'augmentation? Des
changements de pratiques médicales et de l'introduction de nouvelles
technologies (opératoires ou médicamenteuses). Cela ne veut pas dire que
ces nouveaux traitements coûtent plus cher. Au contraire, ils sont
souvent moins coûteux. Mais comme ils sont (en général) plus efficaces
et comportent moins d'effets secondaires, ils sont applicables à plus de
personnes. C'est donc l'effet de volume qui tire les dépenses vers le
haut.
Prenons le cas de l'infarctus. Il est dû
au fait que les artères coronaires se bouchent. On procédait auparavant
par pontage: il fallait opérer à cœur ouvert, ce qui ne pouvait pas
être appliqué à tous et comportait une chirurgie lourde avec des risques
post-opératoires importants. On peut maintenant visualiser les artères
de façon non invasive via la cathéterisation puis dilater les artères
(angioplastie) avec éventuellement un petit ressort (le stent)
pour empêcher l'artère de se refermer. Ces dernières techniques se font
en remontant via les artères mais sans ouvrir le thorax. Elles coûtent
donc moins cher mais ont été appliquées à beaucoup plus de patients. Le
bénéfice thérapeutique global sur l'ensemble de la population est
indéniable mais le coût est plus élevé au global. Notons que
l'augmentation de la dépense peut être maximisée par la prévalence de la
maladie (c'est le cas pour les maladies cardio-vasculaires) mais le
graphique suivant isole ce facteur (il est exprimé en % des patients).
- +58% pour les changements des pratiques médicales
- -10% pour les changements de morbidité (moins de maladies)
- +3% pour l'augmentation de la taille de la population
- +3% pour le vieillissement de la population
Evidemment, tous les progrès ne sont pas
bons et certaines techniques ou médicaments apportent un surcoût sans
réelle avancée. Mais au final, ces surcoûts correspondent à un réel
bénéfice aux malades et à la société. Dès lors, peut-on fixer un niveau
de dépenses optimal pour maximiser ce bien-être?
Des études ont été menées à ce sujet. Le
premier apport est bien sûr celui de la vie allongée et/ou améliorée,
pour le malade mais aussi sa famille, son entourage, le capital
"culturel" du malade,... Comment quantifier le coût d'une année de vie?
Certaines études chiffrent une vie entière entre 2 et 9 millions de
dollars. D'autres à 6 M$ (basés sur les chiffres US de l'Agence de
Protection de l'Environnement). La base a été fixée à 100.000$ par année de vie en plus par Cutler.
Bref, ce montant est forcément sujet à débat et il ne peut exister une
vérité indiscutable sur la question. Néanmoins, fixer cette valeur est
nécessaire pour jauger de l'efficacité et de la nécessité des politiques
en matière de santé.
Ce montant est pondéré par un coefficient appelé QALY (Quality Adjusted Life-Year).
Une dépression guérie va par exemple permettre d'améliorer la vie d'un
patient d'un coefficient QALY de 0.3 et donc rapporter 30.000$ de
bénéfice social. Sauver un patient de la mort a un QALY de 1 (et donc
"génère" 100.000$). Si l'on reprend l'exemple du traitement des
infarctus, pour chaque année de vie en plus (100.000$), le surcoût a été
de 30.000$. On peut donc dire très trivialement que "ça vaut le coup".
Et encore, le calcul fait l'impasse sur
les bénéfices plus directs: un homme sauvé d'une crise cardiaque à 50
ans va pouvoir travailler 10 ans de plus, un dépressif guéri
retravailler,... Il y a donc un vrai gain économique et humain en face
de l'augmentation des coûts de santé. Jusqu'où doit-on aller comme cela?
Des études ont montré que l'optimum pourrait être autour de 25% du PIB
consacré à santé, soit plus du double de la part actuelle ! Au-delà, on
passe l'optimum et les soins coûtent plus chers que le bénéfice attendu.
Loin de restreindre les dépenses de santé, il nous faudrait donc les
augmenter ! Si, comme on l'a entendu à l'envi lors du débat des
retraites, «l'espérance de vie n'a cessé d'augmenter depuis 50 ans et
cela va augmenter», c'est en bonne partie grâce à l'augmentation des
dépenses de santé. Et si l'on veut que cela continue, cela ne se
réalisera pas en dépensant moins.
Comment financer tout cela? Seule une
hausse drastique des cotisations peut le permettre, ce qui ne manquerait
pas de provoquer une levée de boucliers sur le pouvoir d'achat des
ménages et/ou la compétitivité des entreprises. Pour ce qui est des
ménages, la santé n'est-elle pas une priorité entre les priorités? Quant
aux entreprises, si l'augmentation du coût du travail est un frein, le
fait d'évoluer dans une société avec des salariés mieux soignés, plus en
forme, moins souvent en arrêt de travail doit aussi être pris en
compte.
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