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samedi 10 décembre 2011

L'enfer et les bonnes intentions


Auteur : Jean-Marc JANCOVICI (Ingénieur Conseil)
 
Par un tour de passe-passe totalement inattendu, un tsunami japonais a donc mis l’énergie au centre de notre élection présidentielle. La voie empruntée est originale, mais il était temps que cela arrive !
Qu’est-ce que l’énergie ? Tout simplement ce qui permet de chauffer, refroidir, déplacer, tordre, étirer, laminer, mélanger, transmettre, creuser, ériger… en clair transformer ce qui nous entoure. En ayant multiplié par plusieurs centaines l’action de nos seuls muscles sur l’environnement, l’énergie est devenue le sang des sociétés industrielles. Tant que les ressources sont sans limites, plus on a d’énergie et plus on peut créer de flux physiques, dont le PIB n’est que la traduction monétaire.
Entre 1880 et 1975, chaque terrien a disposé de 2,3% d’énergie supplémentaire par an, pouvant ainsi créer, toutes choses égales par ailleurs, 2,3% de flux physiques en plus. Dans le même temps, l’efficacité énergétique de l’économie, parfois appelée « progrès », rajoutait une production supplémentaire par unité d’énergie. Avant les chocs pétroliers, le PIB par être humain progressait alors de 3% par an. En 1980, le pétrole, qui fournit toujours 40% de la consommation planétaire d’énergie finale, est brusquement passé de 5,5% de croissance annuelle moyenne à… 0,8% (et depuis 2005 c’est zéro).
Malgré l’augmentation du gaz et du charbon, la croissance de l’énergie par terrien est soudainement descendue à 0,2% par an. L’efficacité énergétique a continué, de 1% par an (mais pas plus ; aucune dématérialisation accélérée n’a eu lieu). La croissance du PIB par habitant de la planète est alors passée de 3% à 1% par an, engendrant au passage notre problème de dette en Occident.
En 2010, la France a consommé 1800 TWh (un TWh = un milliard de kWh) d’énergie finale, pour un PIB de 1900 milliards d’euros, soit environ 1 kWh d’énergie finale par euro de PIB. 750 TWh viennent du pétrole, 450 du gaz, 300 du nucléaire, 100 du charbon, 100 du bois et 50 de l’hydroélectricité (l’éolien fait 10 et le photovoltaïque 1). Diviser par quatre nos émissions de CO2 d’ici à 2050, comme la loi de 2005 sur l’énergie le prévoit, implique de passer de 1350 à 350 TWh sur les énergies fossiles.
Et les renouvelables ? Comme elles demandent beaucoup plus de capital par kWh que les énergies fossiles, 200 TWh supplémentaires donne un ordre de grandeur. Reste le nucléaire. Si nous le supprimons, ce qui est le but de EELV, il reste 700 TWh en 2050. En conservant 1% de gain annuel sur l’efficacité énergétique de l’économie (hypothèse discutable, car ce progrès suppose une rotation du capital qui disparaît en récession), notre PIB serait alors de 900 milliards d’euros environ en 2050, soit la moitié d’aujourd’hui. Savoir si ce serait un bien ou un mal pourrait être un long débat. Mais le PS a-t-il bien compris que c’est cela qu’il soutenait dans les faits ?
Jusqu’où peut-on faire autrement ? Pour les combustibles fossiles, une partie de la messe est dite de toute façon. La production mondiale de pétrole diminuera de moitié environ d’ici à 2050. Avec l’effet d’éviction du aux émergents qui prendront une part croissante de ce qui restera, une division par quatre de notre approvisionnement est assez vraisemblable. Le gaz européen vient pour 60% de la Mer du Nord, qui a entamé son déclin, et les Russes ne compenseront pas la différence. Incidemment, cela rend impossible de remplacer le nucléaire par du gaz en 2030 : le gaz nécessaire ne sera pas là ! Il vaut mieux consacrer nos capitaux à remplacer gaz et fioul du chauffage (environ 400 TWh au total) par de l’isolation et… de l’électricité nucléaire. Idem pour les transports, où il faut supprimer 400 à 500 TWh de pétrole en divisant la consommation des véhicules par 3, et en électrifiant une partie des véhicules… sans CO2.
Nos amis Allemands, souvent cités en exemple, ne s’apprêtent pas du tout à faire la « transition vers les renouvelables ». Ils vont surtout faire appel au gaz russe - au détriment des autres européens - et au charbon, qu’ils ont chez eux, et augmenter leurs émissions de CO2. Ils sont déjà à 10 tonnes par personne et par an - contre 6 pour un Français - alors qu’il faut viser 2 tonnes en 2050 ! La sortie du nucléaire en Allemagne sera(it) un coup terrible porté à « l’Europe du climat ». Belle réalisation écologique, en vérité…
A l’opposé, si nous supprimons trois quarts des fossiles, ce qui est imposé, doublons les renouvelables, ce qui est possible, et augmentons le nucléaire de 50%, cela permet plus de 1000 TWh et 1400 milliards d’euros de PIB en 2050. Cette option, qui suppose un plan comme nous n’en avons jamais vu depuis la reconstruction, et, déjà, l’oubli de la croissance comme objectif cardinal, est probablement jouable dans un monde qui reste pacifique et démocratique. En y rajoutant la sortie du nucléaire, c’est moins sûr.

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