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samedi 7 janvier 2012

Quand Pfizer invite certains journalistes au luxueux Murano Resort

Ils sont conviés le 12 janvier. En échange: confier ce qu’il en est de leurs attentes rédactionnelles, de leurs besoins, des attentes de leurs lecteurs. Conflit d’intérêt? Marché de dupes?

Bactérie MRSA dans un labo de biologie à Berlin en 2008. Fabrizio Bensch / Reuters - Bactérie MRSA dans un labo de biologie à Berlin en 2008. Fabrizio Bensch / Reuters -
«Alors c’est bien comme avant le Médiator?» Telle fut la réaction réflexe d’un confrère journaliste ayant lui aussi reçu l’invitation. Adressée par mail, elle émanait d’une «pharmacienne» travaillant au sein de Chanler Chicco Companies, puissant «groupe de communication santé» international basé (en France) à Neuilly-sur-Seine.
Comme avant le Médiator? Daté du 2 janvier, le courrier électronique avait pour unique objet une «INVITATION PFIZER» concernant un «Petit Déjeuner  - Infections Nosocomiales». Ou plus précisément à une «Table ronde média sur Les Infections Nosocomiales». L’affaire est programmée pour le jeudi 12 janvier de 9h30 à 12h (un long  petit-déjeuner, donc) au sein de l’Hôtel Murano Resort – 15 bd du Temple dans le IIIe arrondissement de Paris. Ici, le petit-déjeuner est affiché «de 20 à 35 euros». Règle d’or de l’établissement récemment cité dans quelques affaires corporelles: When sleeping is not enough
«En partenariat avec Pfizer Antibiothérapie, nous avons le plaisir de vous convier à un petit déjeuner atelier média portant sur les infections nosocomiales qui se tiendra le Jeudi 12 Janvier à l’Hôtel Murano. L’objectif de cet atelier est de faire un point sur cette pathologie encore fréquente et l’état actuel de l’antibiothérapie qui représente un vrai sujet d’actualité, nous expliquait notre correspondante pharmacienne. Nous espérons également mieux comprendre vos approches rédactionnelles et vos besoins en termes d’informations dans ce domaine.  Nous vous proposons d’en discuter avec 3 experts renommés dans ce domaine.»
Mais qu’est-ce que bien être un petit déjeuner atelier média?
On saisit sans mal l’essentiel, sans être grand clerc en communication, qu’elle soit médicale ou pas. Trois médecins spécialistes et plus d’une heure pour chauffer ce qui tiendra en vingt grosses minutes. Vulgariser sans excès ce qu’il en est des microbes en général, du SARM en particulier acronyme pour  «Staphylococcus aureus résistant à la méticilline. On parle aussi de Methicillin-resistant Staphylococcus aureus.
Dans tous les cas un «Staphylocoque doré» ayant trouvé le génie infectieux de résister à l’antibiotique méticilline (ou méthicilline). La hantise  des services de réanimation. Pour autant rien, ici, de bien nouveau à attendre sous le soleil de la microbiologie. Du moins d’un strict point de vue journalistique.
Pour des infectiologues hospitaliers, «faire un point sur cette pathologie encore fréquente et l’état actuel de l’antibiothérapie qui représente un vrai sujet d’actualité» ne constitue pas un exercice d’une particulière difficulté. Il en irait de même pour des salariés spécialisés d’une multinationale pharmaceutique directement concernée. D’ailleurs s’il en était besoin tout ou presque est ici disponible –gratuitement- sur internet. Ici ou . Sans parler d’ici et surtout de .   
Certes. Mais où trouver ailleurs qu’au Murano Resort de Paris les «approches rédactionnelles» et les «besoins journalistiques en termes d’informations dans ce domaine»? En route, donc, pour le Boulevard du Temple et une rencontre d’un autre temps. Car il y a bien quelque chose de délicieusement suranné à proposer de manière aussi candide de débattre autour d’un café-tartine  de «L’infection nosocomiale au SARM dans les médias».
Quelque chose de radicalement décalé à poser ouvertement la question de savoir si les «retombées actuelles sont fréquentes». Parlez-vous moins des infections à SARM que d’autres pathologies infectieuses? Quelles en sont donc les raisons? Estimez-vous avoir, en tant que journaliste spécialisé, une connaissance et une compréhension optimales dans ce champ précis de l’infectiologie et de l’antibiothérapie?
Peut-être y a-t-il encore ici la petite ivresse que peut chez certains générer le flirt innocent avec ce monstre qu’est devenu le conflit d’intérêt. On peut aussi songer à un banal marché de dupes.
«On peut certes trouver le piège quelque peu grossier mais, à l’expérience, c’est assez habile, confie un observateur attentif. On entremêle ici une “information produit” (la communication produit situe toujours la problématique) et un peu de lobbying (l’effet de levier sur les pouvoirs publics; en l’espèce une recommandation des autorités sanitaires qui pourrait ne pas être assez favorable au fabriquant). On ajoute une carotte d’intéressement : “que pourrait-on bien vous fournir, chers journalistes, pour vous être agréable et vous aider dans votre tâche?” Mais par-dessus tout on feint la naïveté de l’agneau venant de naître: laisser croire que le network mondial de la communication ait besoin de réunir les journalistes pour connaître leurs besoins…»
Restent les formes. Faire se rencontrer une Big Pharma avec des membres de la presse santé pour que ces derniers révèlent ce qui les incite à écrire et ce qui ne les inspire pas. Connaître en somme la nature et l’ampleur des moyens qui permettraient  —par différents coups de billards— d’épaissir la couverture médiatique puis l’antibiotique? On ne s’étonnera pas du programme annoncé.
Tout d’abord une «discussion sur les angles/accroches de communication autour de pneumonies nosocomiales/SARM». Ensuite une définition du «vocabulaire adapté». Enfin quelques donnés concrètes sur «l’information, les ressources et les données nécessaires». Ailleurs on parlerait d’éléments de langage.
Xavier Bertrand, ministre en charge de la Santé l’a dit et redit, promis et répété; presque juré. « Il y a eu un avant. Il y aura un après Médiator.»
Jean-Yves Nau

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