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samedi 6 août 2011

«Laissez les pays et les banques faire faillite», dit un expert suisse


Célèbre pour sa lettre financière mensuelle intitulée «Gloom, Boom & Doom Report», Marc Faber a prédit avec justesse le krach boursier de 1987, la chute des actions japonaises deux années plus tard et la crise financière actuelle. «Le Temps» a rencontré le gourou de la finance à Zurich pour une interview exclusive.

Célèbre pour sa lettre financière mensuelle intitulée «Gloom, Boom & Doom Report», Marc Faber a prédit avec justesse le krach boursier de 1987, la chute des actions japonaises deux années plus tard et la crise financière actuelle. Le Temps a rencontré le gourou de la finance, de passage à Zurich avant de repartir en Thaïlande.

Le Temps: Les marchés ont dégringolé cette semaine. Comment analysez-vous la situation?

Marc Faber: Ils sont très survendus à court terme. Je m’attends à un rebond, puis à nouveau un ralentissement dès octobre ou novembre. Le S & P atteindra environ 1100 points [ndlr: il est vendredi à 1200 points]. Le troisième volet du programme d’assouplissement monétaire devrait ensuite être lancé [ndlr: dit «QE3»].

– Le dollar ne cesse de dégringoler. Anticipez-vous sa fin?

– Oui, j’ai toujours pensé que la valeur terminale du dollar était zéro, car le gouvernement, le Trésor et la Réserve fédérale n’ont aucun intérêt à maintenir un dollar fort. Depuis 1913, année de création de la Fed, le billet vert a perdu 97% de son pouvoir d’achat. Sur le long terme, il a été faible par rapport à la grande majorité des autres devises, tout comme la livre sterling. La fin du dollar ne se produira pas du jour au lendemain, elle sera graduelle.

– Croyez-vous aussi à la fin de l’euro?

– Je n’en ai aucune idée, car il s’agit d’une décision politique. Aussi longtemps que l’Allemagne a la volonté de soutenir la Banque centrale européenne et de financer le fonds de stabilité, l’euro survivra.

– Aux côtés de la Grèce figurent le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Devrait-on aussi laisser ces pays faire faillite comme vous le préconisiez avec la Grèce?

– Oui, même si cette solution est douloureuse. Cela ne me gêne pas que des assurances, des gouvernements et des banques ayant acheté des obligations de la Grèce perdent de l’argent. Si certains pays font faillite, ils entraîneront les banques avec eux. Mais laissons ces établissements faire défaut tout en protégeant les épargnants. Ce choix est nettement meilleur que de sauver les banques avec l’argent du contribuable et de se rendre compte deux années plus tard que les banquiers reçoivent des bonus record. Il faut punir les banquiers! Le secteur financier est devenu bien trop gros par rapport à l’économie réelle. A mon avis, le secteur financier doit s’occuper de garder l’épargne des gens et de la prêter à d’autres. Les banques ne devraient pas s’occuper de trading. Est-ce que le sauvetage des banques aux Etats-Unis a apporté quelque chose à l’économie? Non.


– La BNS a décidé cette semaine de resserrer le taux Libor et d’augmenter les liquidités en francs sur le marché monétaire. Est-ce une bonne stratégie pour lutter contre l’appréciation du franc?

– Non, imprimer des billets en masse aura des conséquences. Le franc baissera, les prix de l’immobilier et l’inflation grimperont et l’économie réelle ne sera pas aidée. Il est évident qu’à court terme le franc fort fait souffrir les entreprises exportatrices. Mais, sur le long terme, que ce soit la Suisse, le Japon ou l’Allemagne avant l’euro, ces pays ont tous une monnaie forte. En d’autres termes, les pays qui sont tournés vers les exportations ont une monnaie forte, ceux qui exportent peu ont une monnaie faible. Dans le cas de la Suisse, pays qui ne produit pas de matières premières, les entreprises peuvent acheter à meilleur prix du fer, du cuivre et d’autres métaux grâce au franc fort. En conséquence, l’impact de l’appréciation d’une devise sur les exportations est nettement surévalué. Mieux vaut une monnaie forte qu’une inflation élevée.

– En perte de compétitivité à cause du franc, certaines entreprises comme Lonza ont rallongé le temps de travail hebdomadaire de deux heures sur les sites de Viège et de Bâle. Cette mesure vous convainc-t-elle?

– C’est une bonne idée si les employés travaillent plus en Suisse, car ils gagnent déjà 30% à 40% de plus que dans la zone euro. Mais un problème me préoccupe davantage en Suisse: le prix des produits. Un ami a récemment acheté un article Geberit en Suisse pour 150 francs. En Allemagne, il coûte deux fois moins cher. On paie ici une Porsche 190 000 francs, alors qu’elle coûte 95 000 francs en Allemagne. J’imagine que les marges sont en Suisse beaucoup plus élevées qu’ailleurs.

– Comment l’économie suisse va-t-elle évoluer durant les six prochains mois?

– Elle ne va pas connaître une forte croissance, mais ce n’est pas grave. Il y aura toujours Zurich, Verbier, Genève et d’autres régions qui se développeront, car la Suisse est fiscalement attractive. Mais, un jour, cela pourrait changer en raison des pressions de l’Union européenne.

– Les tensions fiscales entre la Suisse et ses voisins européens n’ont en effet pas disparu. Croyez-vous que l’impôt libératoire peut être obtenu ou que la Suisse n’a pas les moyens de résister aux pressions pour l’échange automatique d’informations?

– La Suisse ne parviendra pas à résister et devra céder à l’échange automatique d’informations. C’est la raison pour laquelle je conseille de transférer les capitaux à Singapour ou à Hong Kong, où l’Union européenne n’est pas aussi active et où elle peut se faire envoyer balader par les autorités. Dans quelques années, il y aura davantage d’actifs sous gestion à Singapour qu’en Suisse. Beaucoup d’argent de l’Union se déplace déjà vers ce centre offshore, car il est plus sûr.

– Les nouvelles règles de Bâle III suffiront-elles à stabiliser le système bancaire international?

– Ces nouvelles règles sont bonnes, mais le timing est mauvais. Il aurait fallu les introduire il y a 10-15 ans et les assouplir maintenant. Or les gouvernements n’ont rien fait durant les dernières années, et maintenant que les banques devraient être encouragées à prêter de l’argent, ces réglementations les en empêchent. Au lieu d’être pro­actifs, les Etats sont réactifs. En fait, le problème n’est pas tant le manque de réglementations, mais des politiques monétaires beaucoup trop laxistes qui encouragent la spéculation. Il serait mieux d’avoir des politiques plus restrictives avec des taux d’intérêt plus élevés que des gouvernements qui ne cessent d’augmenter leurs dépenses et de baisser les taux.

– Beaucoup d’analystes s’inquiètent encore d’un éclatement de la bulle immobilière en Chine. Vous n’y croyiez pas l’an dernier. Est-ce toujours le cas?

– Les gens ne réalisent pas que la Chine a une population presque équivalente à celle des Etats-Unis et celle de l’Europe combinées. Il peut donc y avoir une bulle immobilière dans une ville, voire dans une province, tandis que dans celle d’à côté la situation est normale. Une bulle se définit par des taux d’intérêt bas, des liquidités excessives qui sont investies dans l’un ou l’autre secteur. Selon cette définition, il existe une bulle en Chine, mais son ampleur n’est pas facile à estimer. Car, contrairement à ce que l’on observe dans les économies occidentales, les Chinois n’empruntent pas beaucoup d’argent quand ils achètent des appartements. Ils paient l’essentiel en cash. Pour mémoire, lorsque la bulle immobilière a éclaté à Hong Kong et que les prix ont chuté de 70%, personne n’a fait faillite. L’endettement des gens était très faible, tout comme celui des agences immobilières.

– Investissez-vous en Chine?

– Non, je n’y suis pas intéressé, même si je reste optimiste sur la Chine. J’estime que la moitié des entreprises cotées sont frauduleuses. Je préfère être exposé à la Chine via Hong Kong où des entreprises paient des dividendes de 5% à 6%. Le risque de perdre de l’argent est faible. De plus, en cas de problèmes, le dollar de Hong Kong peut toujours être réévalué par rapport au dollar.

– Malgré une légère correction, les prix des matières premières ont grimpé depuis début 2010. C’est un secteur sur lequel vous misez, tandis que certains pointent du doigt la spéculation. Vous sentez-vous responsable de cette évolution?

– Non, il y a eu l’an dernier des pénuries alimentaires pour certaines matières premières agricoles dues à des sécheresses. Des inondations ont endommagé des récoltes. A titre privé, je déconseille d’investir directement dans des matières premières agricoles et des ETF, car il y a presque 100% de chances de perdre de l’argent. Leur volatilité est élevée. Si les prix s’envolent, les agriculteurs plantent davantage pour gagner de l’argent et les prix diminuent.

– Certains tablent sur la fin du monde et l’éclatement du système financier international. Ne va-t-on pas plutôt vivre une décennie morose comme dans les années 1970?

– Peut-être. Nous aurons une croissance très faible dans les économies matures avec une perte de confiance des investisseurs, des crises à répétition. Les gens ne sont plus intéressés à investir dans des actions. Ils ont vu les excès du système bancaire, des managers et ont perdu beaucoup d’argent. Un jour ou l’autre, je suis persuadé que nous devrons reconstruire notre système sur de nouvelles bases.

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