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mercredi 14 septembre 2011

Les banques, un empire incontrôlé

Source : Regards.fr 
La mondialisation financière a eu pour effet de créer des établissements de crédit colossaux, devenus intouchables, aliénés par la course au profit, mais protégés par les États. Face à l’hégémonie du lobbying bancaire, des contre-pouvoirs s’organisent.
 
Si les Indignés se mettaient à couper des têtes, à n’en pas douter, ils commenceraient par celles des banquiers. Dans la débâcle de l’automne 2008, on nous avait promis un sévère tour de vis, une grande « moralisation ». Trois ans plus tard, le bilan est indigent : les grandes banques restent intouchables. Il n’est que les folles fluctuations des « marchés  » qui continuent d’obséder les banquiers. Rétives à tout contrôle, les banques sont-elles devenues souveraines ?

Impossible de se passer des banques

La libéralisation financière a bouleversé le paysage bancaire  : « Aujourd’hui il n’y a plus de banque, analyse Dominique Plihon, économiste et président du conseil scientifique d’Attac. Avec la mondialisation financière, elles se sont internationalisées, concentrées, et sont devenues « des mastodontes », résume l’économiste, parmi lesquels s’affichent nos champions nationaux. » En outre, la concurrence des marchés financiers a privé les banques des gros épargnants et des grandes entreprises, leurs meilleurs clients, avec pour corrélat le déclin de leurs fonctions traditionnelles – collecte des dépôts et octroi de crédits –, au profit d’un redéploiement de leurs activités vers les domaines ouverts par la déréglementation. Crédits plus risqués, gestion de portefeuilles, prise de participations, assurances, innovations financières, etc. : les groupes bancaires offrent désormais l’intégralité des services financiers, «  d’autant plus en France, précise Dominique Plihon, où beaucoup d’investisseurs institutionnels ont été créés par les banques elles-mêmes  ».
Elles conservent néanmoins leur monopole d’accès à la monnaie de la Banque centrale, ce qui leur donne la capacité de créer la monnaie qu’elles prêtent. Ce privilège leur confère le rôle – et la responsabilité – d’arracher le pari de l’investissement, dépense colossale, au carcan de l’épargne disponible à un moment donné. Sans cette capacité de création monétaire par le crédit, le tunnel sous la Manche, par exemple, n’aurait jamais vu le jour. N’en déplaise à Cantona, impossible, donc, de se passer des banques. Mais, la déréglementation financière a rendu les banquiers fous et dangereux.
Sur le terrain de jeu de la finance globalisée, les acteurs courent après une rentabilité financière qui peut parfois atteindre les 40 %, bien plus que les perspectives qu’offre l’économie réelle. Et, privilège de banquier – vous en rêviez, Goldman Sachs l’a inventé –, les banques ont mis leur pouvoir de création monétaire au service d’une spéculation pour compte propre (par l’intermédiaire de filiales, ce qui, pour l’actionnaire, revient au même).

Le haut rendement, une idée fixe

Si bien que, aujourd’hui, la croissance du crédit accompagne davantage la progression de la « pompe à phynance », que celle de la production. Une privatisation de l’argent en quelque sorte. L’idée fixe de la finance, c’est le haut rendement ; et toujours plus que le concurrent, car l’enjeu réside dans le classement. Toujours plus risqué, donc. Malgré l’innovation de la titrisation censée dissoudre le risque par dissémination, les crises bancaires s’accélèrent donc, et s’aggravent. Mais, si un fonds spéculatif mal géré peut faire faillite – après tout, c’est le jeu capitaliste – les grandes banques se savent désormais too big to fail. Beaucoup sont notoirement systémiques  : si l’une s’effondre, les autres, fortement interconnectées, tombent avec et plombent l’économie mondiale. Les pouvoirs publics n’hésitent alors jamais à allonger les milliards nécessaires. La socialisation des pertes bancaires est une pratique aussi ancienne que la libéralisation financière : dès les années 1980, l’Etat américain y avait engouffré l’équivalent de 3,4 % de son PIB de 1990.
Chaque sauvetage fournit alors aux banques des capitaux peu chers, à l’affût de nouvelles rentabilités. Hier, les dettes souveraines, aujourd’hui, le rachat d’infrastructures publiques. Goldman Sachs a récemment indiqué son ambition de devenir un grand propriétaire des services publics privatisés en masse par les municipalités et les Etats américains pour se désendetter. Le monde privatisé par les banques : le voeu néolibéral exaucé par la « pression des marchés ». Et honorer la dette passe pour une injonction morale : il n’y a pas d’alternative. Alors que Bâle 2 avait lamentablement trébuché sur la crise des subprimes, le Comité de la Banque des règlements internationaux (dit de Bâle), chargé d’élaborer des recommandations de régulation bancaire, a produit l’an dernier un troisième volet de propositions (Bâle 3), censé prévenir une nouvelle crise. L’essentiel réside dans l’augmentation de la qualité et de la quantité des fonds propres des banques rapportée à leurs activités de marché et de crédits.

Régulation et moralisation vaines

Mais, ces mesures, encore en négociations internationales, semblent déjà vaines : nombre de professionnels les jugent très insuffisantes, et le calendrier d’adoption discuté (2019) laisse largement le temps de voir éclater une nouvelle crise. En outre, deux énormes failles demeurent dans l’effort de supervision : les filiales déréglementées (et horsbilan) des banques et les paradis fiscaux. Dans ce contexte, toute modification réglementaire incite seulement les banques à transférer leurs risques vers des filiales moins exposées aux régulateurs. Inutile également de compter sur une « moralisation » des acteurs, comme l’explique Frédéric Lordon  : « Les marchés financiers sont le lieu du profit hors norme. Et l’on voudrait que des capitalistes, dont la vocation existentielle est le profit, fassent la démonstration d’une chrétienne retenue ? » Attac propose de rendre traders et dirigeants des banques responsables des prises de risque excessives sur leurs biens personnels. Pour le lobby bancaire, l’idée est bien sûr saugrenue.

De la démocratie à la bancocratie

« Les banquiers ? Je les vois plus souvent que les syndicats  », confie Liêm Hoang Ngoc, député européen et secrétaire national adjoint en charge de l’économie du PS. Alors que 70 % des textes sur les banques viennent de l’Europe, le lobbying bancaire auprès des dirigeants européens est féroce. Et il a le bras long : le prochain gouverneur de la BCE, Mario Draghi, est un ancien de Goldman Sachs, et le « parrain » de la banque française, Michel Pébereau, est le conseiller officieux de Nicolas Sarkozy sur ces questions. Nos démocraties ont viré à la bancocratie.
Mais des contre-feux s’allument. A l’échelle européenne, la nouvelle organisation Finance Watch démarre cette automne son travail de contre-expertise auprès des décideurs européens (voir encadré ). Et en France, la campagne A nous les banques !, lancée par Attac et les Amis de la Terre, tente de contraindre les grandes banques à «  rendre des comptes sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux de leurs comportements ». Les premiers résultats de leur enquête soulignent la « médiocrité » de la transparence des banques. Pire : deux d’entre-elles n’ont pas répondu, et c’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit de deux grandes banques mutualistes – le Crédit Mutuel - CIC et Banque Populaire - Caisse d’Epargne – qui semblent alors se comporter comme des banques capitalistes.

Contrôle social du crédit

Face à la question bancaire, nombre d’analystes plaident pour une mise sous contrôle social du crédit. Pour Dominique Plihon, « des banques démocratiques permettraient une meilleure allocation du capital en faisant intervenir toutes les parties prenantes : usagers, salariés, Etats, collectivités locales, etc.  ». Plus qu’une nationalisation, il s’agirait d’une socialisation des banques, voire d’une « communalisation », terme qui a l’avantage d’« insister sur le commun : c’est essentiel pour les projets productifs et l’emploi  ». Une activité bancaire de proximité, encadrée par un relatif protectionnisme et interdite de paradis fiscaux, réduirait la concurrence et le risque et remettrait la création monétaire au service de la production.
A cet égard, la crise des dettes souveraines pourrait être plus utile qu’il n’y paraît : « Les banques ont encore construit quelque chose de tellement fragile que la probabilité d’une nouvelle crise financière est très forte. Si elle se produit, il faudra se battre, cette fois, pour nationaliser les banques », assène François Chesnais. Cet économiste, dans le sillage du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) (voir encadré), appelle de ses voeux une mobilisation citoyenne pour dénoncer l’illégitimité des dettes souveraines et remettre les choses à l’endroit : sauvetage des peuples, et austérité pour les banques.
Par Amélie Jeammet

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