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lundi 27 juin 2011

La dette Grecque vu par bruno bertez



L'article qui suit est à prendre avec des pincettes, mais je l'ai trouvé intéressant et donne un autre avis sur la dette Grecque.

Auteur : Bruno Bertez ancien directeur de La Tribune (1985)

Vous connaissez notre intérêt pour le vocabulaire, pour la sémantique, pour la désignation en général. Celui qui nomme, c’est à dire celui qui donne un nom aux choses ,aux événements ou aux situations, s’octroie en quelque sorte un pouvoir. En définissant, on influence et on contrôle.

La parole, l’écrit et l’image sont les vecteurs privilégiés de la propagande depuis l’avènement de ce que l’on appelle la communication. Surtout depuis le développement des services spécialisés chargés de soi-disant communiquer.

En fait, depuis les travaux de Bernays, le neveu de Freud, qui a détourné les enseignements de la psychologie et de la psychanalyse au profit des Pouvoirs, depuis les travaux de Bernays, la communication est le moyen privilégié de contrôler les citoyens, les médias, les marchés.

L’une des découvertes de Edward Bernays, c’est la découverte du fait que l’on pouvait tromper les gens sans leur mentir. Simplement, en escamotant les hiérarchisations, les véritables liens de causalité et surtout en annihilant les capacités de raisonnement, la logique et le bon sens par la toute puissance des perceptions.

La manipulation des perceptions et des réactions émotionnelles est devenue tellement courante que l’on ne la perçoit pour ainsi dire plus. Les perceptions ont un tel pouvoir d’évidence que les responsables de la conduite des affaires n’ont plus besoin d’arguments ou de justifications, encore moins de débats. La perception crée une évidence incontournable et c’est sur elle que les utilisateurs de la propagande s’appuient. Plus que sur le mensonge ou sur la torsion de la vérité.

Le génie suprême des grands communicants, comme de Gaulle, Reagan ou Obama, c’est le recours à l’évidence. Quand de Gaulle pour refuser l’intégration de la Grande-Bretagne dans l’Europe déclare « l’Angleterre est un île », il a tout dit et il a gagné.

Nous-mêmes avons récemment utilisé des possibilités offertes par le vocabulaire pour imposer une idée que nous voulions elle aussi évidente: nous avons ainsi cessé de désigner la crise de la dette souveraine des périphériques européens par ce nom et nous l’avons remplacé par l’expression « crise du subprime européen ».

Nous voulions susciter l’analogie avec le subprime hypothécaire américain et suggérer la symétrique responsabilité des banques créditrices qui, par appât du gain, ont prêté à des débiteurs manifestement insolvables.


Les Pouvoirs récusent cette désignation. Pour eux, c’est une crise de gens qui vivent au-dessus de leurs moyens. Ils ne veulent pas que l’on introduise ou que l’on évoque la responsabilité des banques et surtout ils veulent continuer à faire croire que nous sommes non pas dans une crise de solvabilité comme dans les subprimes, mais dans une crise de liquidité.

Dans une crise de solvabilité, l’issue c’est la restructuration des dettes, le moratoire, l’effacement partiel des dettes. Dans une crise de liquidité, le remède, c’est l’octroi de nouveaux prêts, l’empilement d’une nouvelle couche de dettes, le « «kick the can » généralisé.

La crise de solvabilité débouche sur des faillites ou leur équivalent avec participation des créanciers aux pertes et aux solutions. La crise de liquidité débouche unilatéralement sur l’accroissement de l’endettement du débiteur, l’allongement de la durée de son endettement. Sur sa ruine, la perte de son statut social. Dans la crise de liquidité, le débiteur est enchaîné et pour longtemps.

La différence n’est pas seulement à ce niveau, elle est aussi dans la répartition de la charge et du fardeau de la dette.

Nous avons dit dès le début de la crise que l’enjeu final serait de savoir qui allait payer pour les excès des Banques Centrales, des gouvernements, du système bancaire officiel et du système bancaire occulte. Qui? En termes de pays. Qui? En termes de catégories sociales. La lutte est engagée, nous sommes en plein dans ce combat pour savoir qui va payer.

Dans la crise diagnostiquée de solvabilité, tout le monde paie. En tous cas, toutes les parties prenantes. Le débiteur, même si sa dette est partiellement réduite ou moratoriée; mais aussi le prêteur qui voit le montant de sa créance amputée. Il y a une sorte de justice dans ce partage. L’un et l’autre ont été légers, inconséquents, ont commis des erreurs, des fautes, et ils en subissent les conséquences.

Quand la crise est dite de liquidité, le prêteur refuse, avec l’aide des Banques Centrales, avec l’aide des gouvernements, avec l’aide de l’Armée, de la Police ou autres, de reconnaître la perte de valeur de sa créance et il propose, ou plutôt impose, comme solution, de prêter encore plus, d’augmenter sa créance et ses bénéfices futurs.

Le diagnostic de la crise en tant que crise de solvabilité est sain, il est porteur d’avenir car il réduit la masse de dettes dans le système, il diminue le poids des remboursements, il permet le maintien de l’activité et même la croissance future. En libérant du pouvoir d’achat, il permet par conséquent de l’emploi. Allégée, la mécanique économique peut repartir.

Le choix de l’étiquette « crise de liquidité » va dans le sens des évidences, n’est-ce pas: vous manquez d’argent pour payer vos dettes, on va vous en donner! Et après? Après, on verra. On verra quand, à la faveur de votre endettement, nous pourrons nous approprier l’essentiel de vos salaires, de vos revenus, de vos économies, de votre patrimoine. Après on verra.

Réfléchissez bien. C’est ce qui se passe, c’est que l’on essaie de faire passer en Grèce. Le cynisme du couple système bancaire/Banques Centrales va dans le cas de la Grèce jusqu’à affirmer « vous êtes solvables, la preuve c’est que vous pouvez nous vendre votre pays ».
Dans la version « crise de liquidité » il n’y a pas que les débiteurs qui sont dévastés et pillés, il y a aussi les tiers. Les tiers, ce sont les citoyens européens, les contribuables des pays qui abritent les banques créditrices qu’il faut protéger. Et bien sûr, tous les utilisateurs et détenteurs de l’euro.

La Banque Centrale, la BCE, est obligée d’avilir la monnaie et de procéder à des contorsions de moins en moins orthodoxes pour soutenir le système (bancaire bien entendu). Elle dilue par les créations monétaires la valeur des revenus et des patrimoines, elle spolie les épargnants par le maintien de rémunérations nulles des placements; elle prélève en fait sur les économies des classes moyennes. Les économies des classes moyennes étant soit des économies personnelles soit des économies collectives comme les pensions de retraite etc.

L’appauvrissement des tiers ne se limite pas à celui qui est causé par la gestion monétaire, il s’étend aussi à la gestion fiscale.


Qui ne voit que l’exemple de ce qui se passe sur le subprime européen est précisément destiné… à faire exemple. Exemple sur les citoyens des autres pays. Implicitement, tout est conçu de façon à faire percevoir les choses de la façon suivante: si vous ne voulez pas subir ce que nous faisons subir aux Irlandais, aux Grecs… soyez raisonnables, acceptez dès maintenant ce que l’on vous impose, la modération de vos revenus, le laminage de votre pouvoir d’achat, l’amputation de vos protections sociales, le rabotage des niches et des avantages acquis, la réduction des retraites. Et puis, n’oubliez surtout pas de contribuer à cette œuvre nationale par une acceptation de l’accroissement de la pression fiscale directe et indirecte!

Ceci nous ramène à notre point de départ, la manipulation des foules par la parole et la communication. Nous avons assisté ces derniers jours à une véritable offensive des communicants du pouvoir pour faire peur. Noyer, Merkel, Juncker et beaucoup d’autres se sont relayés pour agiter la menace de la catastrophe. Les milieux financiers, les médias, bien sûr, relayent: nous serions dans une phase pré-Lehman. C’est à dire que nous serions, rendez-vous compte, dans les semaines qui ont précédé la plus grande crise financière de tous les temps. Avis aux Italiens, dont le rating de la dette vient d’être remis en question; avis aux Belges, carrément montrés du doigt par Juncker et bien sûr, avis aux Français s’ils ne se préparent pas à accepter les mesures qu’on leur concocte pour 2012.

L’utilisation de l’épouvantail Lehman est grotesque. Nous ne sommes pas dans une situation pré-Lehman, mais au contraire dans une situation post-Lehman. C’est à dire que Lehman, c’est passé et l’on sait maintenant que Bernanke et la Fed ont commis une erreur considérable, une erreur qui a provoqué la réaction enchaîne que l’on sait. Nous sommes post-Lehman, c’est à dire que l’option Lehman est totalement exclue à présent et le recours à l’épouvantail est simplement un moyen de paralyser la raison, de faire en sorte que les citoyens et leurs représentants acceptent n’importe quoi. Accepter n’importe quoi, c’est à dire le maintien des privilèges kleptocratiques des uns et la spoliation des autres.

La voie qui est suivie aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, à des nuances près, est la même. Elle consiste, face à un excès de dettes improductives, face à un excès de capital qui a été inflaté par les largesses monétaires et les taux d’intérêt trop bas, à essayer de réduire encore la part de la valeur ajoutée qui va au travail vivant, à l’activité économique productive, et ce, au profit de ce qui est maintenant devenu une rente financière économiquement injustifiée.

Quand un créancier a commis une erreur, quand il a accumulé les fautes, sa créance cesse d’être économiquement justifiée, elle devient un fardeau pour la société. L’accumulation de dettes non productives depuis le début des années 80 est colossale. Cette dette ne sert qu’à s’auto-entretenir, s’auto-inflater au détriment d’emplois et d’investissements qui, eux, seraient producteurs de richesses concrètes, vraies, et non pas seulement nominales.

La dette improductive oblige à peser sur les salaires, sur la rémunération de la vraie épargne, pénalisant les revenus, elle pénalise la croissance, pénalisant la croissance, elle pénalise l’emploi.

1 commentaire:

  1. L’analyse est pertinente. On n’est bien dans le schéma de fuite en avant en prêtant encore aux (états) insolvables… Néanmoins les premiers responsables ne sont pas les banques, mais les états et les hommes politiques qui les gouvernent.
    Considérez par exemple les années avant la crise 2008-9. Combien de livres anticipaient déjà la folie des états!
    Les banques n’ont-elles pas été obligées de prêter aux états? Les liens entre BCE, banques privées et états sont extrêmement forts. Imaginez en 2006, quand le besoin en fond de roulement (pour l’état français) était de l’ordre de 50 milliards d’Euro. Quelles étaient les options? Ne plus payer les fonctionnaires?
    La défaillance du politique est énorme avec leurs perpétuels discours de ‘matins qui chantent’…
    Je rejoins la crainte de Jacques Atalli (qui a pourtant participé grandement à cette défaillance); Nous allons tout droit vers le rejet de la classe politique par les peuples. cela conduira à l’émergence de partis extrémistes voire totalitaires…

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