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mardi 26 juillet 2011

Sarkozy lance la bataille de la «règle d'or»


Dans une lettre aux parlementaires, le chef de l'État les appelle, entre les lignes, à se prononcer pour la maîtrise des déficits.

Nicolas Sarkozy veut pousser son avantage. Au lendemain du sommet de Bruxelles, qui a vu l'adoption in extremis d'un nouveau plan de sauvetage de la Grèce, le chef de l'État a décidé d'écrire à l'ensemble des parlementaires pour faire de la «pédagogie» sur son action et aborder les perspectives d'avenir de la zone euro. Sarkozy a décidé d'user de ce procédé inédit sous la Ve République , le week-end dernier à Brégançon (Var). Avant d'en informer lundi les deux présidents des assemblées, Gérard Larcher (Sénat) et Bernard Accoyer (Assemblée nationale), qu'il recevait à déjeuner à l'Élysée.

Dans cette lettre, que les députés et sénateurs recevront aujourd'hui et que Le Figaro s'est procurée, Sarkozy vante le «plan global et ambitieux de soutien à la Grèce» et en appelle au renforcement de la «gouvernance de la zone euro». Le chef de l'État, qui se réfère à l'esprit bâtisseur des fondateurs de l'Europe, rappelle qu'il fera avec la chancelière allemande Angela Merkel des propositions en ce sens «afin la fin de l'été». «Je suis convaincu que seule une volonté commune et inébranlable peut permettre à l'Europe de sortir grandie et renforcée d'une crise qui aurait pu emporter avec elle le rêve de ceux qui (…) ont voulu nous laisser la paix et la prospérité en héritage», écrit encore le président.

Dans ce contexte de crise, la France se doit d'être «exemplaire dans sa remise en ordre de ses comptes publics», poursuit Sarkozy, qui en profite pour vanter ses réformes: «(la France) a commencé à l'être en engageant l'assainissement de ses finances publiques et en œuvrant pour le renforcement de sa compétitivité, elle doit continuer». Rappelant que les décisions qui viennent d'être prises à Bruxelles par les dirigeants des dix-sept pays de la zone euro l'ont été «en privilégiant l'intérêt général, au détriment de sensibilités politiques parfois différentes», le président conclut en appelant les parlementaires à la responsabilité: «En France, dans les mois qui viennent, nous avons besoin de nous rassembler sur ces questions essentielles, au-delà des intérêts partisans. La représentation nationale que nous incarnons jouera, j'en suis sûr, un rôle majeur pour assurer le sens de notre responsabilité commune face à l'Histoire.»

Au-dessus de la mêlée

Une allusion à peine voilée à la fameuse «règle d'or», qui prévoit d'inscrire dans la Constitution l'obligation d'un retour à l'équilibre budgétaire. Le dispositif, qui a été voté le 13 juillet par le Parlement, ne sera effectif qu'après avoir été adopté par les deux Assemblées réunies en Congrès à Versailles. Nicolas Sarkozy sait bien qu'il sera très difficile -voire impossible- de réunir l'indispensable majorité des trois cinquièmes. Selon les calculs élyséens, il manque pour cela 27 voix (40, après le renouvellement partiel au Sénat, en septembre). Bernard Accoyer, en quittant l'Élysée, a indiqué que la décision de convoquer ou non le Congrès ne serait pas prise avant la rentrée.

En adressant cette missive aux parlementaires, le chef de l'État -auréolé du succès du plan de sauvetage de la Grèce- veut apparaître comme au-dessus de la mêlée et soucieux de l'intérêt général. Mais son objectif est bien de mettre l'opposition «face à ses contradictions», dixit un conseiller. «Les Français feront la différence entre un parti de gouvernement et un parti qui ne l'est pas», indique un proche du chef de l'État. Même si Sarkozy ne parle pas directement de la règle d'or dans sa lettre (elle figurait dans une version intermédiaire), celle-ci est «dans le paysage, en arrière-plan», reconnaît-on volontiers à l'Élysée. «Il y aura le camp de la cohérence -le président sauve la zone euro, puis demande des efforts à la France- et le camp de l'incohérence» , souligne un conseiller élyséen. Voilà la représentation nationale prévenue.

Une «première» sous la Ve République

Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, n'avait jamais vu ça: «C'est une première!» En décidant d'écrire une lettre aux parlementaires, le chef de l'État use d'une nouvelle procédure. Dans son article 18, la Constitution stipule que le président de la République «communique avec les deux Assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et q ui ne donnent lieu à aucun débat». Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le président a la possibilité de s'exprimer devant le Congrès réuni à Versailles. «Hors session, les Assemblées parlementaires sont réunies spécialement à cet effet», précise le texte.«Il n'y a pas de précédent de lettres dans l'histoire de la Ve, indique le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Théoriquement, le président ne peut pas écrire aux parlementaires». «Un moyen de communication original et utile», reconnaît-on à l'Élysée.

Verbatim : «La France doit être exemplaire»

«C'est un véritable Fonds monétaire européen que nous avons l'ambition de construire. La crise que nous traversons aujourd'hui n'aura pas été tout à fait négative si elle permet à l'Europe de se doter enfin d'une telle arme.

La conviction que j'ai exprimée à de multiples reprises est que nous devons doter la zone euro d'un véritable gouvernement économique, dont la réunion au sommet des États doit être l'élément central: lui seul peut définir une stratégie économique commune assurant la cohérence des politiques des États membres.

Comme nos prédécesseurs l'ont fait dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale (…) nous devons nous atteler à ce chantier alors que nous venons de frôler le pire. Nous le devons aux fondateurs de la construction européenne comme à nos enfants.

Pour réussir dans cette entreprise, pour entraîner ses partenaires, la France, tout le monde le comprendra, doit être exemplaire dans la remise en ordre de ses comptes publics et de son économie. Elle a commencé à l'être en engageant l'assainissement de ses finances publiques et en œuvrant pour le renforcement de sa compétitivité. Elle doit continuer.

En France, dans les mois qui viennent, nous avons besoin aussi de nous rassembler sur ces questions essentielles, au-delà des intérêts partisans.»

Règle d'or : Réticent, Bayrou donne son accord de principe


C'est un petit «oui», mais un «oui» quand même. Reçu lundi pendant plus d'une heure par ­Nicolas Sarkozy, François Bayrou lui a promis de voter pour le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques si le Congrès en était saisi. «J'aurais souhaité une déclaration ou une règle plus simple et plus lisible que celle qui est arrêtée, a expliqué le patron du MoDem, mais j'ai dit au président que si cette discussion venait devant le Congrès de Versailles, je voterais cette disposition.»

Les réticences de Bayrou ne sont pas de pure forme. L'ex-candidat à la présidentielle ne reconnaît pas sa «règle d'or», celle qu'il défend depuis 2007, dans la proposition concoctée par Sarkozy. Quand le texte a été soumis à l'Assemblée, le 13 juillet, aucun des élus du MoDem ne l'a d'ailleurs approuvé. François Bayrou s'est abstenu, Jean Lassalle, également député des Pyrénées-Atlantiques, a voté contre, et le député de Mayotte Abdoulatifou Aly n'a pas participé au vote.

Trois voix - treize si l'on y ajoute celles de la dizaine de sénateurs restés fidèles à l'ex-président de l'UDF - ne suffisent pas à faire une majorité au Congrès. À supposer que tous les élus du MoDem soient susceptibles de se rallier au projet constitutionnel, ce qui reste à démontrer. Mais si ­Nicolas Sarkozy décidait effectivement de convoquer le Parlement à Versailles, il aurait besoin de tous les renforts possibles. Et en attendant, le soutien d'un adversaire déclaré comme François Bayrou est toujours bon à prendre, même s'il est accordé du bout des lèvres.

«Europe coopérative»

À dix mois de la présidentielle, aucun de ces deux futurs candidats ne peut se permettre de laisser l'autre s'arroger le monopole de la défense des générations futures. Car au-delà de la dette, c'est bien de cela qu'il s'agit. Le leader du MoDem a donc dit oui pour «le symbole», en précisant au chef de l'État que la réponse ne lui paraissait pas à la hauteur de la crise.

Il l'avait déjà affirmé publiquement le 12 juillet, lorsqu'il avait demandé à voir Nicolas Sarkozy. Lundi, il a détaillé devant le président la solution qu'il préconise, celle d'une «mutualisation» intégrale ou partielle de la dette des États de la zone euro, afin que «la solidité d'ensemble de l'économie européenne dissuade les attaques spéculatives, permette à chacun de reprendre son souffle et, pour les plus fragiles, de se reconstruire à un horizon raisonnable». Une idée d'«Europe coopérative» dont il a précisé lundi sur BFMTV qu'elle lui a été inspirée par le modèle des coopératives agricoles.


Les socialistes redisent leur opposition à la «règle d'or»


Le PS demande la suppression des niches fiscales et la fin des «cadeaux fiscaux».

Voter la règle d'or, pas question. Opposés depuis le début à cette initiative présidentielle, les socialistes l'ont redit lundi par la voix du sénateur David Assouline. «Nous ne participerons pas à une opération politicienne qui vise à couvrir le fait que, jamais depuis la Libération, le déficit et la dette ont été autant creusés par la droite depuis dix ans», a dit le porte-parole du PS pendant l'été.

En fait, à l'orée de la campagne présidentielle de 2012, le PS peut difficilement se prononcer en faveur d'une proposition de Nicolas Sarkozy. Mais en retour, il court le risque de se voir taxer de «laxiste» par la majorité. Le piège est là, que les socialistes s'efforcent tant bien que mal de contourner. «J'ai bien senti qu'à Matignon, l'opération de propagande était en train de se préparer», explique un socialiste qui assistait la semaine dernière au discours de François Fillon sur le sujet.

«Volontarisme politique»

Pour tenter de ne pas tomber dans le piège, les socialistes commencent par assurer qu'ils sont pour la réduction des déficits. Les deux favoris des sondages pour la primaire, François Hollande et Martine Aubry, se sont d'ailleurs prononcés pour réduire le déficit à 3 % dès 2013.

Pour tous, la rigueur budgétaire n'est pas tant affaire de Constitution que de «volontarisme politique». Rien ne servirait donc d'inscrire la règle d'or dans la Constitution. Pour le patron des députés PS, Jean-Marc Ayrault, «ce qui est profondément choquant, c'est que cette nouvelle règle du jeu ne s'appliquerait qu'après l'élection présidentielle. Or la situation demande d'agir dès aujourd'hui». Et les socialistes ont une proposition : que le gouvernement se décide dès maintenant à supprimer les niches fiscales.

David Assouline l'a redit lundi : pour le PS, «il suffit d'arrêter les niches, les cadeaux fiscaux aux plus riches». C'est le piège tendu en retour à Nicolas Sarkozy. Sauf à accepter de détricoter une grande partie de réformes entreprises depuis 2007, le chef de l'État ne peut la mettre en œuvre. En maintenant la menace de réunir le Congrès sur le sujet, il veut pousser les socialistes dans leur retranchement. Piège contre piège et à qui tiendra le plus longtemps.

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